(*) Posté le 1/6/2015 dans Econostrum.
Le 5 juin 2015, à Madrid, aura lieu la XI Réunion à haut niveau Maroc-Espagne. Sur le plan économique le défi est de consolider un récit plus sophistiqué sur les relations bilatérales.
Le Maroc et l’Espagne ont beaucoup changé ces dernières années, ainsi que le contexte régional et global, et les relations économiques hispano-marocaines ont besoin d’un nouveau discours pour contenir une réalité de plus en plus complexe: un discours de complémentarité et non pas de concurrence, de convergence de préférences au lieu de divergences, sans tomber dans l’ingénuité mais non plus dans le piège de la realpolitik. En effet, ces dernières années un récit différent est apparu, plus sophistiqué et avec une vision plus intégrée et dynamique des relations économiques bilatérales.
Lors d’une récente réunion à Rabat entre l’Institut Royal des Études Stratégiques marocain et l’Institut Royal Elcano espagnol, de nouveaux concepts ont surgi, comme «compétitivité partagée», «complémentarité dynamique», «mécanismes d’anticipation» ou «convergence de préférences». Il est également devenu manifeste que ces préférences partagées s’étendent à de nouvelles dimensions: sectorielles, tel que l’intégration dans les chaînes industrielles de valeur (textile, électronique, agroalimentaire et surtout récemment dans le secteur automobile), la progression des échanges des services, ou l’énergie; mais également d’ordre géoéconomique, voire l’instabilité dans la rive Sud de la Méditerranée et l’ensemble du Monde Arabe, l’émergence de l’Afrique ou la configuration du bassin Atlantique.
L’Espagne, premier partenaire économique du Maroc
Les aspects géopolitiques ont aussi gagné du poids avec les révoltes arabes et les préférences partagées s’étendent maintenant à la sécurité, aussi intérieure qu’extérieure, et sont maintenant perçues comme vitales. Au niveau intérieur la coopération anti-terroriste est devenue une clé pour la lutte contre le djihadisme et les trafics illicites. Les deux pays affrontent ainsi un Nord de l’Afrique élargi et d’une plus grande profondeur stratégique, avec des débordements vers le Sahel et le Golfe de Guinée, et beaucoup plus complexe à gérer unilatéralement.
Les nouvelles interdépendances sociales sont aussi mieux gérées de façon coopérative, telles que la consolidation d’une communauté marocaine en Espagne, ou la gestion de l’immigration irrégulière, dont la nature a aussi beaucoup changé. La coopération sur ce volet a sauvé beaucoup de vies et épargné le détroit de Gibraltar des tragédies d’antan, qui par contre continuent à secouer d’autres parties de la Méditerranée.
Sur le plan économique, l’Espagne est devenue le premier partenaire commercial du Maroc, où domine le commerce intra-industriel et intrafirme. Le Maroc, de son côté, est devenu le neuvième marché mondial espagnol, deuxième hors de l’UE, seulement derrière les USA, et bien sûr premier marché africain pour l’Espagne. Les investissements espagnols au Maroc sont aussi importants, mais au contraire de ce qui se passe avec l’Amérique Latine, les investissements industriels dominent les services, ou des opportunités subsistent. Les renvois d’émigrants continuent de prendre de l’ampleur, aussi que le tourisme.
Passer de la perception de concurrent à celle de partenaire
Le cadre économique euroméditerranéen, avec toutes ses carences, a permis la réduction des coûts de transaction et aidé à dépolitiser les relations économiques. Cette dynamique a montré que le développement économique du Maroc est positif pour l’économie espagnole, et que la croissance de cette dernière impulse aussi la croissance marocaine. Bien qu’il puisse y avoir des gagnants et des perdants sectoriels, l’ensemble des sociétés marocaines et espagnoles y gagnent. Cette évidence commence à imprégner le discours économique bilatéral et devrait se consolider le 5 juin.
L’actualisation des perceptions économiques croisées reste un aspect à accomplir. Peu d’Espagnols savent que la principale exportation du Maroc n’est pas la tomate (elle ne l’a jamais été) mais des produits des secteurs automobile et électronique intégrés dans des réseaux industriels européens à participation espagnole. Passer de la perception traditionnelle de concurrent dans des secteurs de faibles valeurs ajoutée à devenir un partenaire intégré dans la chaîne de valeur est un exercice qui devrait commencer à se dessiner dès ce sommet. C’est aussi une occasion pour l’Espagne de montrer que son économie reprend de la vitesse et continuera à dynamiser la croissance du Maroc.
Par leur proximité, complémentarité et tissu institutionnel, l’Espagne et le Maroc sont des partenaires économiques naturels et cette “nature” de la relation requiert un discours cohérent avec ce fait. Il serait souhaitable que ce nouveau discours puisse s’étrenner, et si possible s’affiner, le 5 juin prochain à Madrid. Pour mémoire: compétitivité partagée, complémentarité dynamique, mécanismes d’anticipation, convergence de préférences…
Gonzalo Escribano
Directeur du Programme d’Énergie | @g_escribano