J’aime et j’admire l’Espagne, y compris, bien sûr, la Catalogne et la superbe Barcelone. Mais comme parlementaire étranger, je dois m’abstenir de prendre position dans vos débats politiques internes. L’unité de l’Espagne concerne les Espagnols comme l’unité canadienne regarde les Canadiens. Je me contenterai donc de dire, à propos de l’unité de l’Espagne, que le Canada apprécie hautement sa relation d’amitié avec une Espagne unie et que tout le reste relève de la politique intérieure de l’Espagne.
Cela dit, il faudrait être sourd pour ne pas entendre certaines questions qui se posent avec insistance dans le contexte espagnol actuel et qui touchent directement à l’enjeu de la sécession en démocratie.
Les organisateurs de cette conférence m’ont fait l’honneur de penser que je pourrais faire œuvre utile en énonçant mes réponses à ces questions. Je vais donc vous les donner en examinant chacune de ces questions tour à tour. Mes réponses seront résolument circonscrites au contexte canadien mais je les rattacherai à des principes que je crois de portée universelle. Ce sera à vous d’évaluer si mes propos ont une quelconque validité dans le contexte de votre pays.
Le Canada étant une démocratie pluraliste, on trouvera des Canadiens, notamment au sein du mouvement indépendantiste québécois, pour contester mes réponses. Je suis persuadé qu’elles sont non seulement exactes sur le plan légal mais aussi dans le meilleur intérêt de l’ensemble des Canadiens, notamment des Québécois, y compris ceux qui souhaitent la sécession. Je reviendrai sur cet aspect en conclusion.
1. De quoi se nourrit le mouvement sécessionniste québécois?
Il s’agit avant tout d’un mouvement identitaire. Bien que les partis indépendantistes québécois s’efforcent de convaincre leurs concitoyens de la rentabilité économique de l’indépendance, ce point de vue demeure minoritaire. Le Québec est moins riche que la moyenne canadienne et le Canada, dans son ensemble, offre des atouts économiques bien plus diversifiés que chacune de ses dix provinces prises isolément.
Le Québec est à forte majorité francophone, dans un continent qui n’est pas multilingue comme l’Europe. Les quelque huit millions de Québécois sont entourés de quelque trois cent vingt-cinq millions d’anglophones (le Mexique est loin) et ils ressentent la force assimilatrice de l’anglais. Certes, le français est, avec l’anglais, l’une des deux langues officielles du Canada et l’on trouve des communautés francophones dans les autres provinces canadiennes. Mais elles ne forment un pourcentage substantiel de la population que dans une petite province limitrophe du Québec : le Nouveau-Brunswick.
Les indépendantistes québécois ne recueillent des appuis significatifs qu’auprès des francophones, ce qui atteste du caractère identitaire de ce mouvement. En définitive, le principal argument des indépendantistes est que nous, Québécois, formons une nation et qu’à ce titre, nous devons prendre notre propre destinée en main plutôt que de nous contenter d’être la province d’une autre nation.
Les indépendantistes demeurent cependant minoritaires au Québec. Ils ont été défaits lors des deux référendums tenus à ce jour, en 1980 et en 1995, et les résultats des sondages ne leur sont pas favorables. Bien que le parti au pouvoir actuellement à Québec soit indépendantiste, la majorité des Québécois n’appuie pas l’indépendance et désapprouve fortement l’idée même de tenir un troisième référendum sur le sujet.
L’appui majoritaire à l’unité canadienne a lui-même un fondement identitaire. Les avantages matériels de l’appartenance au Canada n’expliquent pas tout. Les enquêtes d’opinion montrent à répétition que la majorité des Québécois est fière d’être canadienne, fière de ce pays que les Québécois ont contribué à bâtir avec les autres Canadiens et qui fait l’envie du monde entier.
Les Québécois sont nombreux à voir dans la combinaison de leur appartenance québécoise et de leur appartenance canadienne une force et non pas une contradiction. En ce sens, le défi du mouvement indépendantiste, sur lequel il bute depuis des décennies, est de convaincre les Québécois qu’ils seraient plus heureux s’ils cessaient d’être des Canadiens.
2. Le Canada se considère-t-il comme divisible?
Oui.
Aucun parti politique reconnu au Parlement ou dans les assemblées législatives des provinces ne s’est déclaré favorable à l’idée de retenir les Québécois contre leur gré, pourvu que cette volonté de sécession ait été clairement exprimée et qu’un accord de séparation ait été dûment négocié dans le cadre constitutionnel canadien et dans un souci de justice pour tous.
Le Canada n’a pas l’équivalent de l’article 2 de la Constitution espagnole, lequel, comme vous le savez, énonce que: “La Constitución se fundamenta en la indisoluble unidad de la Nación española, patria común e indivisible de todos los españoles, y reconoce y garantiza el derecho a la autonomía de las nacionalidades y regiones que la integran y la solidaridad entre todas ellas”. — «La Constitution est fondée sur l’unité indissoluble de la nation espagnole, partie indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles».
L’Espagne est loin d’être la seule démocratie qui s’affirme comme une entité indissoluble. Plusieurs autres se déclarent indivisibles, soit dans leur Constitution, soit dans leur jurisprudence : la France, les États-Unis, l’Italie, l’Australie… Ces États démocratiques estiment que le pays ne peut pas être divisé puisque chaque parcelle du territoire national appartient à tous les citoyens. Ces États offrent à tous leurs citoyens la garantie que l’appartenance à l’ensemble du pays est un héritage qu’ils pourront transmettre à leurs enfants.
Le Canada en est venu à une conclusion différente. Mais entendons-nous : si, en tant que Canadiens, nous admettons notre divisibilité, ce n’est pas parce que nous considérons que le Canada, son unité, sa citoyenneté, seraient moins dignes de respect que celui qui est dévolu aux autres pays. C’est plutôt que nous estimons que notre identité canadienne est trop précieuse pour reposer sur autre chose que le désir de vivre ensemble.
3. La sécession est-elle un droit au Canada ?
Non.
La sécession est admise comme une possibilité, mais non comme un droit. Le gouvernement d’une province n’a pas le droit de s’autoproclamer gouvernement d’un État indépendant. Il ne peut pas, en droit, effectuer la sécession unilatéralement, sans un accord négocié avec l’État canadien. Il n’a pas ce droit, ni en droit international, ni en droit canadien. La Cour suprême du Canada, dans son Avis de 1998, a confirmé que «la sécession d’une province du Canada doit être considérée, en termes juridiques, comme requérant une modification de la Constitution, qui exige forcément une négociation» (par. 84) «dans le cadre constitutionnel existant» (par. 149).
Le gouvernement du Québec ne peut pas s’arroger un droit à la sécession unilatérale en arguant que les Québécois forment un peuple ou une nation. Comme l’a écrit la Cour suprême : «(…) quelle que soit la juste définition de peuple(s) à appliquer dans le présent contexte, le droit à l’autodétermination ne peut, dans les circonstances présentes, constituer le fondement d’un droit à la sécession unilatérale».
4. Le gouvernement d’une province canadienne a-t-il le droit de tenir un référendum sur la sécession?
Oui.
Le gouvernement d’une province est en droit de consulter sa population par référendum sur quelque sujet que ce soit et de décider du texte de la question référendaire.
Cependant, plutôt que décisionnelle, la nature d’un référendum est consultative au Canada. Comme l’écrit la Cour suprême, «ce vote démocratique, quelle que soit l’ampleur de la majorité, n’aurait en soi aucun effet juridique».
5. Le fait qu’un référendum ne soit qu’une consultation veut-il dire que le Canada pourrait rester indifférent à l’expression, par référendum, d’une volonté claire de sécession?
Non.
Mais il faut que cette volonté de sécession soit clairement établie pour que naisse l’obligation d’entreprendre des négociations sur la sécession.
L’ancien premier ministre du Canada, Jean Chrétien, a déclaré le 8 décembre 1997 : «Dans une telle situation (un appui clair pour la sécession), il y aura des négociations avec le gouvernement fédéral, cela ne fait aucun doute». J’ai moi-même maintes fois souligné ce principe dans mes discours et lettres publiques, à commencer par ma première déclaration à titre de ministre, en 1996 : «Si le Québec malheureusement votait avec une majorité ferme sur une question claire pour la sécession, j’estime que le reste du Canada a l’obligation morale de négocier le partage du territoire».
L’Avis de la Cour de 1998 a confirmé que cette obligation de négocier ne peut naître que «d’une majorité claire de la population du Québec en faveur de la sécession, en réponse à une question claire» (par. 93). Elle n’existe pas si l’expression de la volonté démocratique est «elle-même chargée d’ambiguïtés».
Donc, négociation si l’appui pour la sécession est clair ; pas de négociation sans appui clair ; et sans négociation, pas de sécession : tel est l’avis émis par la Cour en 1998, avis auquel la Loi sur la Clarté, adoptée par le Parlement du Canada en 2000, a donné effet.
6. Si seul un appui clair entraîne l’obligation de négocier la sécession, qui doit évaluer la clarté?
La Cour suprême assigne ce rôle aux acteurs politiques : «Seuls les acteurs politiques auraient l’information et l’expertise pour juger du moment où ces ambiguïtés seraient résolues dans un sens ou dans l’autre».
C’est le gouvernement de la province qui choisit la question. La Loi sur la clarté prévoit que la Chambre des communes, après une délibération et des consultations, se prononce par résolution sur la clarté de la question avant la tenue du référendum. Si la question est jugée non-claire, le référendum ne peut pas mener à la négociation de la sécession.
Après un référendum sur une question claire, si le gouvernement de la province estime avoir obtenu un appui clair pour la sécession, la Chambre des communes examine la clarté de la majorité. C’est seulement si, après délibération et consultations, elle conclut par résolution à l’existence d’une majorité claire, que le Gouvernement du Canada peut et doit entreprendre une négociation sur la sécession.
Il faut donc une question claire et une majorité claire.
7. Qu’est-ce qu’une question claire?
Nous savons tous à quoi ressemblerait une question claire sur la sécession. Ce qui est compliqué, c’est d’imaginer une question confuse. La Cour suprême parle de la «volonté de ne plus faire partie du Canada». Plus la question se rapproche de ce libellé, plus elle est claire. Mais on peut en imaginer d’autres : voulez-vous que votre province se sépare du Canada? Voulez-vous que votre province cesse de faire partie du Canada et devienne un pays indépendant?
Si la Cour suprême a tant insisté sur la clarté de la question, dans son avis de 1998, c’est sans doute parce que cette clarté a été mise en doute lors des référendums québécois de 1980 et de 1995. Les questions avaient été libellées par le gouvernement du Parti Québécois de façon à gonfler artificiellement les appuis pour le Oui, notamment en entremêlant le projet d’indépendance et le maintien d’une éventuelle association quelconque avec le Canada. Ainsi, la question de 1995 se lisait comme suit:
«Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l’avenir du Québec et de l’entente signée le 12 juin 1995?»
La clarté ne peut évidemment pas naître d’une question qui traite d’autre chose que de la sécession ou qui y mêle d’autres considérations. Si le gouvernement sécessionniste est confiant d’avoir l’appui de la population, il serait dans son intérêt, comme dans l’intérêt de tous, de formuler une question claire, hors de tout doute.
8. Qu’est-ce qu’une majorité claire?
La Cour a déclaré que le principe de la démocratie signifie davantage que la simple règle de la majorité. Elle confirme que l’obligation d’entrer en négociation sur la sécession ne peut naître que «d’une majorité claire de la population du Québec en faveur de la sécession, en réponse à une question claire». Ce n’est pas moins de treize fois qu’elle mentionne dans son avis l’expression «majorité claire» ou «claire majorité» en plus de parler de «l’ampleur» de la majorité. Et la Cour réfère à une «majorité claire de la population du Québec», ce qui englobe davantage que les seules voix exprimées.
Il y a deux raisons fondamentales pour lesquelles la négociation d’une sécession devrait se faire sur la base d’une majorité claire. La première est que plus une décision met en cause les droits des citoyens, plus elle est irréversible et engage les générations futures, plus la démocratie doit être exigeante quant à la procédure requise pour l’adoption de cette décision. Or, il ne fait aucun doute que la sécession est un acte grave et probablement irréversible. Un tel geste engage les générations futures et entraîne de lourdes conséquences pour tous les citoyens du pays qui se fait ainsi scinder.
La seconde raison est que la négociation de la scission d’un État moderne serait inévitablement, même avec toute la meilleure volonté du monde, une entreprise difficile et semée d’embûches. Il ne faudrait surtout pas que pendant que les négociateurs s’affairent à parvenir à un accord de séparation, la majorité change de camp et devienne opposée à la sécession. Ce serait là une situation intenable. C’est pourquoi il ne faudrait lancer le processus qu’avec une majorité assez claire pour qu’elle ait des chances de subsister malgré les inévitables difficultés de la négociation.
La Cour suprême nous invite cependant à ne pas chercher à établir un seuil de majorité à l’avance : «il reviendra aux acteurs politiques de déterminer en quoi consiste «une majorité claire en réponse à une question claire», suivant les circonstances dans lesquelles un futur référendum pourrait être tenu».
C’est là un avis très sage de la Cour. L’examen de la clarté d’une majorité a une dimension qualitative qui demande une évaluation politique dans la pleine connaissance des circonstances concrètes.
De plus, fixer un seuil à l’avance, quel qu’il soit, nous exposerait au risque d’avoir à lier une décision aussi grave que celui du choix d’un pays aux résultats d’un recomptage judiciaire ou à l’examen des bulletins rejetés. Cela nous placerait tous dans une situation intenable et même insensée.
Pour limiter les risques de désaccord à propos de la clarté de la majorité, il suffit que le gouvernement qui propose la sécession ne tienne pas de référendum tant qu’il n’a pas l’assurance raisonnable de le gagner clairement. Cette assurance viendrait de différents indicateurs: majorités claires et stables pour la sécession qui se dégageraient dans les sondages, ralliement des différentes forces politiques à cette idée.
9. Les négociations doivent-elles obligatoirement déboucher sur la sécession?
Non.
L’obligation de négocier n’équivaut pas à une obligation de résultat, mais tous les participants seraient tenus de conduire les négociations sur la sécession en conformité avec quatre principes constitutionnels identifiés par la Cour : «le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et la protection des minorités» (par. 90). Le gouvernement du Québec ne pourrait pas déterminer tout seul ce qui serait négociable et ce qui ne le serait pas. Il «ne pourrait prétendre invoquer un droit à l’autodétermination pour dicter aux autres parties les conditions d’une sécession» (par. 91).Il aurait «le droit de chercher à réaliser la sécession» (par. 92) par la voie de ces négociations fondées sur les principes précités.
Ces négociations, «période d’incertitude et de bouleversements profonds», toucheraient inévitablement «une multitude de questions très difficiles et très complexes», pour reprendre les termes de la Cour suprême. La Cour mentionne notamment les questions économiques, la dette, les droits des minorités, les peuples autochtones et les frontières territoriales. Mais justement en raison de la difficulté inhérente de l’entreprise, il ne faut l’envisager que dans le cadre du droit et sur la base d’un appui clair.
10. Le gouvernement indépendantiste pourrait-il faire fi du droit et effectuer la sécession unilatéralement?
Non.
La Cour suprême nous dit qu’une telle tentative se ferait sans «le couvert d’un droit juridique» et dans un contexte où les institutions gouvernant le Québec «ne possèdent pas, en vertu du droit international, le droit de procéder unilatéralement à la sécession du Québec du Canada».
Ainsi, le gouvernement sécessionniste ne disposerait pas de la règle de droit qui lui permettrait d’imposer la sécession unilatérale à ceux qui n’en voudraient pas. Il n’aurait pas le moyen de se faire obéir et ferait courir à toute la société des dangers inacceptables en démocratie.
Non seulement le consentement mais aussi la participation active du gouvernement du Canada seraient nécessaires pour effectuer la sécession, ne serait-ce que pour des considérations pratiques.
Il faudrait trouver le moyen de transférer des dizaines de milliers de fonctionnaires des ministères et organismes fédéraux vers la fonction publique québécoise, des tonnes de lois et de règlements, des millions de déclarations d’impôts, etc. La scission d’un État moderne comme le Canada pourrait tourner en capharnaüm administratif. Il va de soi qu’elle ne pourrait s’effectuer qu’avec l’assentiment et la participation du gouvernement du Canada.
On n’obtiendra pas cette participation nécessaire du gouvernement du Canada au moyen d’une déclaration unilatérale d’indépendance. Au contraire, une sécession unilatérale est une impossibilité pratique en plus d’être sans fondement juridique.
11. Une tentative de sécession unilatérale pourrait-elle obtenir la reconnaissance internationale?
Non.
La Cour suprême envisage cette possibilité de façon très prudente et réaliste; elle avance que toute intransigeance canadienne accroîtrait « probablement » les chances qu’une tentative de sécession unilatérale soit reconnue internationalement. Mais en réalité, il n’existe pas de précédent: aucun État créé par sécession unilatérale n’a été admis aux Nations Unies à l’encontre de la volonté exprimée par le gouvernement de l’État prédécesseur. La pratique des États démontre une réticence extrême à reconnaître les sécessions unilatérales hors du contexte colonial. Une tentative de sécession unilatérale du Québec du Canada serait un geste irresponsable et perçu comme tel par la communauté internationale.
Par conséquent, il ne faudrait pas que nous, Québécois, options pour la sécession en comptant sur un appui international qui s’exerce à l’encontre de la volonté de l’État canadien, tant cela serait contraire à la pratique des États. Nous devrions plutôt compter sur la droiture des autres Canadiens. Nous devrions miser sur les valeurs de tolérance que nous partageons tous au Canada et qui nous seraient indispensables pour la conduite de ces négociations pénibles et difficiles.
Conclusion
En somme, une sécession est une entreprise périlleuse et difficile, qu’on a tout intérêt à résoudre dans le cadre général de la primauté du droit, en menant des négociations sur la base des principes qui définissent un pays, soit, dans notre cas : le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et la protection des minorités. L’élément déclencheur de ces négociations serait l’expression d’un appui clair pour la sécession.
Voilà des principes simples, énoncés par la Cour suprême du Canada et auxquels la Loi sur la Clarté donne effet, de façon à protéger les droits et intérêts de l’ensemble des Canadiens, notamment des Québécois.
Nous, Québécois, sommes tout autant Canadiens que ceux des autres provinces et des territoires. Nous avons le droit de jouir pleinement des bienfaits que nous confèrent la citoyenneté canadienne, la Constitution canadienne et la Charte des droits et libertés du Canada. Nous avons le droit de jouir pleinement de la protection que nous assurent les lois du Canada et le devoir d’assistance qu’ont les gouvernements de la fédération canadienne envers nous partout au Canada et partout à l’étranger. Nous avons le droit de participer pleinement à l’édification de ce pays au même titre que tous les Canadiens. Ces droits, pleins et entiers, personne ne peut nous les enlever. Aucun premier ministre, aucun gouvernement, aucun politicien, personne ! À moins que nous, Québécois, y ayons nous-mêmes clairement renoncé.
Si nous, Québécois, renoncions clairement au Canada, avec une claire majorité et en réponse à une question claire sur la sécession, alors les gouvernements auraient l’obligation d’entreprendre des négociations sur la sécession. Ces négociations devraient être conduites dans le cadre constitutionnel canadien, dans le but de conclure un accord de séparation qui soit juste pour tous.
Que nous soyons pour l’unité canadienne ou pour l’indépendance du Québec, nous devons nous mettre d’accord sur un principe fondamental : le consentement clairement exprimé. La sécession du Québec du Canada ne doit être tentée qu’après que les Québécois l’aient clairement appuyée.
Je vous ai dit, en introduction, que j’entendais me référer au seul contexte canadien tout en appuyant mes réponses sur des principes que je crois universels et qui campent la relation entre la sécession et la démocratie. Permettez, en terminant, que je résume ces principes.
L’idéal démocratique encourage tous les citoyens d’un pays à être loyaux les uns envers les autres, par-delà les considérations de langue, de race, de religion ou d’appartenance régionale. La sécession demande au contraire aux citoyens de rompre cette solidarité qui les unit, et de le faire, presque toujours, sur la base de considérations liées aux appartenances spécifiques telles que la langue ou l’ethnie. La sécession est cet exercice, rare et inusité en démocratie, par lequel on choisit parmi ses concitoyens ceux que l’on veut garder et ceux que l’on veut transformer en étrangers.
Une philosophie de la démocratie qui soit basée sur la logique de la sécession ne saurait fonctionner. Elle inciterait les groupes à se séparer plutôt qu’à s’entendre ou se rapprocher. La sécession automatique empêcherait la démocratie d’absorber les tensions inhérentes aux différences. La reconnaissance du droit à la sécession sur demande inviterait à la rupture dès les premières difficultés, selon des clivages qui risquent fort de se créer sur la base d’attributs collectifs tels que la religion, la langue ou l’ethnie.
Il ne s’ensuit pas qu’un État démocratique doive rejeter toute demande sécessionniste en son sein. Il peut conclure que devant une volonté claire de sécession, accepter celle-ci est la moins mauvaise des solutions. Mais un gouvernement démocratique a l’obligation de s’assurer que cette volonté de sécession est véritablement claire et non-ambiguë, et qu’elle s’effectue non pas de façon unilatérale, mais dans le cadre du droit, avec un souci de justice pour tous.
Stéphane Dion
Membre du Conseil privé du Canada et député fédéral de St-Laurent / Cartierville. Chambre des communes du Canada
Palabras pronunciadas durante el desayuno de trabajo realizado el 9 de abril de 2013 en el Real Instituto Elcano (en francés).